Interview de Soprano, ex Mélancolique Anonyme
Nous sommes allés à la rencontre de Soprano à l’occasion de la sortie de son livre Mélancolique Anonyme. Un livre qui retrace son parcours et qui nous permet de mieux connaitre cet artiste hors pair au sourire vissé aux lèvres mais qui a longtemps trainé en lui une peine immense. Dans cet entretien, il nous explique comment il l’a écrit, pourquoi, le tout en toute simplicité et franchise.
A lire ou à écouter !
Lilloux : Comment es-tu passé du cap d’écrire un texte de rap à celui d’écrire un livre ?
Soprano : Quand j’ai voulu écrire la première phrase, j’ai cherché à faire une rime ! Je me suis dit mais non « oublie tous tes codes ».
A la base, ce n’était pas prévu que je fasse une autobiographie. Je voulais écrire des histoires, des anecdotes qui m’étaient arrivées. L’idée, c’était de montrer qu’on peut y arriver avec des petites histoires rigolotes. Je n’avais pas prévu à 35 ans de faire une autobiographie.
Puis, le problème s’est posé, c’est qu’il y a des gens qui ne me connaissent pas donc je suis obligé de raconter mon histoire pour faire comprendre certaines situations. Il fallait donc que je parle du début de ma vie pour pouvoir bien raconter ces histoires.
Voilà comment c’est parti !
Lilloux : Quand on commence à lire ton livre, on se dit on va lire une autobiographie et au final au fur et à mesure de la lecture, on sent une volonté de mettre en lumière les gens qui sont autour plutôt que toi.
Soprano : Chaque fois dans les interviews, même si c’est moi qui l’a écrit, je dis « On ». Parce que cette histoire, c’est la mienne, c’est à travers moi, mais il y a l’histoire des Psy 4. Tu la sens l’histoire des Psy 4 même si je ne l’ai pas développé à fond, parce qu’il faudrait un autre livre. Y a l’histoire de la création de Street Skillz avec mes meilleurs amis, parce que Psy 4 ce ne sont pas mes meilleurs amis, c’est ma famille, c’est mon sang, c’est encore différent. Puis, il y a tout ce qu’on a réussi à faire après la partie solo.
Lilloux : Tu évoques des parties de ton histoire très personnelle comme la relation avec ton père, tu parles un peu de ta sœur et de tes frères et du fameux jour où tout a basculé mais on sent quand même une grosse pudeur.
Soprano : Oui parce que c’est moi qui l’aie écrit. Si ça avait été quelqu’un d’autre qui l’aurait écrit, il serait parti plus loin, parce qu’il m’aurait interviewé, il aurait cherché. Mais comme j’ai dit, je voulais que le livre me ressemble.
Pour revenir à l’origine du projet, à l’époque de La Colombe, des éditeurs voulaient déjà faire quelque chose. On fait pas gaffe mais comme tu disais tout à l’heure ce livre il nous vieillit, en fait j’en ai fait des choses, des morceaux, il y a des gens qui ont grandi avec ma musique et qui sont devenus profs, et certains me disaient j’aimerais bien écrire sur toi. Je me disais mais ils sont fous, qu’est-ce qu’on va écrire sur moi. Je ne faisais pas gaffe, il y a des gens qui faisaient des masters sur moi. En Suisse, il y a quelqu’un qui m’a amené un master balaise sur moi et il a eu son examen. Je me disais mais s’il savait. Ils décortiquent mes phrases mais certaines je les ai écrites pour rigoler avec mon collègue et je n’ai pas poussé aussi loin. Bref, avec le climat actuel comme tout est de ramener le côté négatif des choses que ce soit pour le rap, la religion, le quartier, je me suis dit je vais amener un côté positif pour ces jeunes-là. J’ai un petit slogan que j’ai écrit dans mon futur album, je vais essayer de jouer avec les codes d’aujourd’hui mais je vais quand même mettre mes petites carottes en glissant mes messages. Car les petits d’aujourd’hui, ils n’écoutent pas de messages ; ils écoutent que de la violence mais quand c’est un hit dans tous les cas ils le chantent même si c’est pas de la violence. Je me suis dit je vais faire comme j’ai fait avec Hiro. Avec Hiro, quand il y a des petits qui viennent me voir et me disent : « je connaissais pas Rosa Park », je me dis c’est super. C’est comme quand nous on écoutait Iam ou Ntm « Laisse pas traîner ton fils », c’est un message. Et je me suis dit il faut le faire plus fort, si je fais un truc sur le rap ça va parler qu’au rap, il faut faire quelque chose de plus gros et le livre est arrivé comme ça.
Oui je reviens sur la pudeur, je me suis égaré mais j’y reviens tout ça pour dire qu’on est venu me demander : « quel journaliste tu aimes bien ? » J’ai demandé : « journaliste, pourquoi ? ». Ils me disent pour écrire. Là mon côté pudeur est arrivée, je me suis dit cette personne là va rentrer dans mon intimité, ou là doucement !
Je suis issu de la musique urbaine et j’ai voulu l’écrire moi-même pour qu’il soit écrit avec mes défauts et mes qualités. Je voulais qu’on ait l’impression que je suis bien là et que j’écris.
Le problème après c’est que de nature, je suis pudique. Par exemple, là on m’a proposé un film, je lis le scénario, je me dis ok ça tue mais je dis au mec tu me verras jamais embrasser. Le mec me dit non mais c’est faire l’acteur. Et je lui dit : « non je ne peux pas ». Il y a même des passages de ma vie importante que j’ai écrit dans mes chansons que je n’ai pas écrit dans mon livre par pudeur.
Lilloux : A la lecture, on sent que tu es presque prêt à lâcher mais finalement non.
Soprano : Attention, les éditeurs m’ont dit mais pourquoi tu n’as pas parlé de ça ? Je leur dit parce que je n’ai pas envie de parler de ça. Là il essaient de me dire mais tu peux en parler de tel ou tel manière. Mais non, je leur ai dit je ne peux pas. Déjà dans le livre il y a des choses pour moi c’est énorme d’avoir réussi à les écrire. Par exemple, l’histoire de mon père, j’ai jamais réussi à écrire une chanson sur mon père, j’ai essayé, je te jure mais j’ai jamais réussi. Il a fallu le livre pour l’écrire.
Donc bien sûr, il y a de la pudeur parce que c’est ce que je suis. Et c’est très bien que tu poses cette question, personne ne me l’avait posé, c’est pour ça que je parle beaucoup.
Lilloux : Tu as parsemé ton livre avec des textes de chansons parfois pour raconter comment elles sont nées et d’autres…
Soprano : Par rapport aux contextes du chapitre. Tu me connais, je ne suis pas dans l’orgueil tout le monde me connaît, je suis le meilleur. Non il y a des gens qui ne me connaissent pas. Il y a des gens qui vont découvrir le livre sans connaître ce que je fais donc il faut qu’ils lisent les textes. En plus j’ai choisi les textes, y en a où il y a des phrases avec lesquelles je ne suis plus d’accord mais je les ai laissés parce que c’était il y a 10 ans.
Lilloux : Ça explique un contexte ?
Soprano : Oui. Et c’était important parce que beaucoup de gens qui ne connaissent pas le rap, ont une mauvaise image des textes de rap.
Lilloux : Dans ces textes, il y en a un qui m’a un peu plus interpelé, c’est de mettre Etoile d’un jour.
Soprano : Ah oui et qui n’est pas un texte à moi en plus ! En fait, quand j’ai préparé Les Mains pleins de Ciment, j’ai tout travaillé, les musiques, les refrains, j’ai imaginé les couplets, etc…et ce morceau-là quand j’ai écouté l’instru, je l’aimais trop. J’avais le refrain, j’avais le thème en tête et quand il a posé son premier texte, il m’a mis les frissons. Ça c’est le rap que j’aime. Cette chanson elle m’a bouleversée et je me suis dit elle mérite d’être dans le livre. Il le sait pas l’Algé (ndlr : L’Algérino), je vais lui dire. (Rires).
Lilloux : Tu parles des médias, sans raconter le livre mais quand on a fini de le lire, sur plus de 10 ans de carrière, c’est comme si rien n’avait changé ?
Soprano : Grave, rien n’a changé. Et j’en ai eu le triste constat, il n’y a pas longtemps. Je sais que Matéo n’aime pas que j’en parle mais je le dis parce que je suis énervé, je trouve que c’est une sorte de racisme. Quand il y a eu l’histoire Booba / Rohff avec le magasin, y a des médias qui avaient prévus de me prendre pour la promo de mon livre, mais quand il y a eu ça, ils n’ont même pas lu mon livre, ils ont dit non on veut pas de rap. Ça veut dire qu’ils m’ont mis dans le tas. Je respecte Booba et Rohff, ça n’a aucun rapport c’est pas le sujet, ce qu’ils ont fait ils assument ce sont de grands garçons. Dans le rap, il faut du Booba mais il faut aussi du Soprano, j’ai un discours totalement différent, je suis tout le contraire. Mais que les médias mettent tout le monde dans le même panier c’est comme dire les arabes sont tous des voleurs. C’est la même chose, c’est du racisme.
Alors qu’en 20 ans et sur ces 10 dernières années, le rap est la musique la plus aimée.
Lilloux : Oui vu les scores de ces 2 dernières années avec Maitre Gims ou même Stromae qui vient du rap.
Soprano : Même d’Indila, c’est de la musique urbaine. Le rap est la musique la plus aimée des français et quand je vois que les medias réagissent comme ça ça me choque. Ça veut dire que rien n’a changé, on est toujours dans les clichés.
Lilloux : Ce qui peut paraître étonnant d’ailleurs pour un artiste comme toi qui a collaboré avec des gens qui ne sont pas forcément dans l’urbain. Tu subis encore ?
Soprano : Oui et encore, il y a des choses que je n’ai pas dites parce que je ne veux pas enfoncer le clou. Après ça fait victime et je n’aime pas ça.
Lilloux : En gros, il y a encore tout à faire ?
Soprano : Oui. Quand j’entends certains medias qui disent pour mes albums, non on ne prend pas Soprano, il représente trop le bon coté des quartiers, il nous faut quelqu’un qui nous apporte de la polémique.
Lilloux : Pour le coup quand on regarde quand on parle de rap c’est souvent sous cet angle polémique.
Soprano : Mais oui. Ça veut dire qu’ils veulent entretenir ce côté-là, donc on ne veut pas avancer. Le problème c’est social, car ça empiète sur l’image des jeunes de quartiers. Comme je le répète tout le temps y a des bons et mauvais partout. Y a 10% des jeunes qui foutent la merde et les autres sont aimables, qui veulent avancer et qui n’écoutent pas que du rap. Donc ça me fait chier que ça n’ait pas évolué.
Lilloux : Les anecdotes sur l’Afrique sont les plus fortes du livre.
Soprano : Oui, c’est vrai parce que là-bas tout est fait par la passion. Tout est exagéré, c’est pour de vrai. Là-bas les gens m’aiment pour de vrai. Ce n’est pas par intérêt parce que je m’appelle Soprano comme quand j’arrive à Paris, que les gens me sourient, je sais très bien, même si je suis trop gentil, c’est un de mes défauts mais je sais très bien que c’est par intérêt. Là-bas, ce n’est pas ça.
Aux Comores, c’est multiplié par 10 comme je l’explique dans le livre. Je suis en promo à la télé et y a un jeune qui se met à chanter « Moi j’ai pas », et quand il chante, il chante pour de vrai, il pleure. Ça c’est des frissons !
Quand j’ai chanté « Hiro » au Togo et que je chante la phrase sur le bus, c’est un truc de fou, je n’ai jamais vu ça.
Lilloux : C’est déstabilisant ?
Soprano : Oui, c’est un truc de malade. C’est comme si d’un coup, tu voyais le vrai impact. Quand tu voyages, tu te rends compte que souvent nos couplets de rap ont un faux impact, le message souvent on ne le propage pas pour de vrai. Par exemple, on va dire qu’il y a des problèmes au quartier, on va le dire aux jeunes des quartiers mais ils le savent, ils le vivent tous les jours. C’est aux autres qui faut le dire. Et les autres vu qu’ils ne comprennent pas la forme, donc il faut trouver une autre manière, un autre angle de vue et le message va passer pour de vrai. Un morceau comme Hiro quand les gens m’en parlent, je suis fier, parce qu’un morceau large a réussi à toucher des gens.
J’espère qu’un livre comme celui-là va faire cogiter les gens.
Lilloux : En lisant, on peut se taper des fous rires, notamment l’anecdote des lustres.
Soprano : J’ai mis l’histoire la plus gentille sur lui. Quand le livre est sorti, il m’a envoyé un texto : « j’ai pas encore lu le livre mais je reçois des messages de lustres ». (Rires)
On a beaucoup d’histoires comme ça, on se connaît tous depuis qu’on est en 6ème, c’est des gens hyper proche que ma mère, ma femme et mes enfants connaissent. On a plein d’histoires comme celle là, notre histoire est belle, et il y a des moments d’éclats comme ça qui sont extraordinaires. Et là, c’est la plus pourrie de toutes ses histoires à lui.
Lilloux : Au delà de ton histoire, il y a un autre fil conducteur dans ton livre qui est le « rendre hommage ». Rendre hommage à la famille aux amis, aux gens avec qui tu as travaillé et à ta ville.
Soprano : Oui et même au rap. Je trouve que c’est important de rendre hommage. Si c’était quelqu’un d’autre qui aurait écrit le livre, il aurait probablement fait des éloges sur moi. Ce n’était pas le but. Là, c’est moi qui raconte l’histoire donc je contrôle. Je me rappelle, à chaque fois que je finissais un chapitre, j’envoyais à l’éditeur. Il corrigeait mes fautes car j’en fait des extraordinaires et des fois il m’enlevait des phrases et en rajouter en disant je mettrai ça. Et je disais non car c’était des phrases qui m’envoyaient des fleurs. Je préfère rendre hommage à ceux qui ont fait que cette histoire. Parce que les héros de ce livre ce sont eux. J’étais dans la dépression et ce sont eux qui sont venus, qui ont sauvé un mec, qui l’ont amené là et qui lui ont fait croire à son potentiel et qui aujourd’hui est devenu ce qu’il est devenu.
Lilloux : C’est marrant parce que quand tu parles et ce qui ressort aussi un peu du livre, c’est comme si tu ne te sentais pas légitime.
Soprano : Ah ça Matéo, il me le dit tous les jours. C’est les traces de ce manque de confiance en moi, c’est les séquelles de la mélancolie que j’ai combattue pendant 20 ans. C’est les traces de « Je me dégoûte, les gens me dégoutent ». Je fais beaucoup d’effort pour sortir de tout ça. A la fin de la B.O de mon livre qu’on a fait ensemble j’ai choisi le titre « Happy », mais le chemin a été long pour arriver à ça. Imagine, j’avais écrit une chanson qui n’est jamais sortie qui s’appelait « Je resterai fidèle à ma peine », t’imagines comment j’étais fou avant. Donc c’est un peu les séquelles.
Lilloux : Cette année, tu étais souvent de mauvaise humeur ?
Soprano : Moi !
Lilloux : Oui parce que quand même l’OM, ce n’était pas ça ! Et quand on lit le livre tu dis que quand Marseille perd tu es de mauvaise humeur.
Soprano : Cette année, je ne suis pas allée au Stade une seule fois, je n’ai pas regardé un match. Ça fait un an que j’évite des interviews pour parler de l’OM. Je ne dis plus le mot OM tant qu’on n’a pas fait quelque chose de potable. Je l’évite. Surtout que je peux rien dire. Et le PSG a pris des joueurs que j’aimais déjà avant mais le problème c’est qu’ils les utilisent mal.
Lilloux : Il fallait en placer une quand même. (Rires)
Soprano : Il fallait. (Rires) Ba oui, une ligue des champions avec une équipe comme ça quand même !
Lilloux : Pour finir, tu démystifies la vie d’artistes à travers le livre.
Soprano : C’est un message que je voulais faire passer car souvent les jeunes quand ils me questionnent ils me demandent : « tu as quoi comme voiture ? ». Et quand il voit ma voiture, ils me jugent, ils se disent non ça peut pas être Soprano, ou alors il vend pas beaucoup de disques. Les gens pensent que quelqu’un de célèbre, qui vend beaucoup de disques et gagne de l’argent a une grosse voiture.
Et dans mon livre, j’ai donné l’exemple de Jean-Jacques Goldman, quand je l’ai vu dans les rues de Marseille, j’ai pété les plombs, il marche normal, il en a rien à foutre des habits. Et là, tu vois que les mecs ont compris ce que sont les vraies valeurs. Moi mes valeurs c’est ma famille, c’est pour ça que tu peux me voir avec mes enfants sur instagram, je ne fais pas le mannequin. Pourtant quand je fais le mannequin, j’ai beaucoup plus de likes. Mais non j’ai envie de te montrer que je suis un mec normal. Et ça permet aussi de protéger ma famille et mes amis. Quand tu es trop inaccessible, ta famille qui est sur le terrain, c’est eux qui subissent les conséquences de tes actes. Moi, je suis un mec naturel, posé, donc ils reçoivent le côté positif de ce truc-là. Imagine, ma femme quand je suis pas là, tous les jours elle s’occupe des 3 enfants et tous les jours y a des femmes qui sont autour de moi, t’imagines dans sa tête comment c’est ?
Donc, c’est magnifique quand elle croise des gens qui lui disent « ton mari, il est super », ça la réconforte. Les enfants, c’est pareil, « ton père il est super », ça les réconforte. Et mes collègues, pareil. Ça me fait plaisir, moi qui leur ait apporté des soucis avec ma mélancolie et bien maintenant je fais le contraire. Comme pour mes chansons. Souvent les gens me demandent de refaire des morceaux mélancoliques mais non si j’en refais, ça veut dire que je n’aime pas ma famille car eux ça les fait souffrir.
Pour moi être vrai, c’est être honnête avec ce que tu aimes, avec ce que tu es, certes c’est dur, je ne dis pas que c’est facile mais faut tenir. Faut éviter la maison du diable comme on dit.
Mélancolique Anonyme est déjà disponible.
Pour écouter, c’est par ici :
Et pour chacun des chapitres de son livre, nous avons demandé à Soprano de nous donner un titre qui le représente, en bref c’est la BO du livre, écoutez !