Mon Vendredi 13 novembre 2015
Le Vendredi 13 est synonyme pour certains de malheur et pour d’autres de chance. J’ai toujours opté pour le côté positif en me disant que ça portait plutôt bonheur. Ce Vendredi 13 novembre 2015 était une journée comme les autres, je suis allée chercher ma fille à l’école, avant de ressortir une fois son père arrivé, pour aller diner avec des amies. Je me faisais une joie de les retrouver, trop souvent, on se voit à l’heure de déjeuner et chacune est alors pressée car il faut retourner au bureau.
Là, on avait toute la soirée pour nous. Je suis arrivée la dernière à notre rendez-vous, toujours en retard, il fallait que je trouve une place alors j’ai tournée plusieurs fois entre la rue de Charonne et la rue Rue Godefroy Cavaignac.
J’ai retrouvé mes copines au resto, il était 20h30. On se disait qu’on était trop contente de se retrouver, on se racontait nos jobs, les potins qui font rire, nos vies autour d’un verre de vin, d’un cocktail. On souriait, la vie quoi !
Puis d’un coup, des bruits, on se dit : « c’est des pétards », puis moi : « c’est pas un rideau de fer qui tombe », et là les gens assis devant la verrière du resto se réfugient au fond, nous disent qu’un homme de l’immeuble d’en face leur a fait des signes de se reculer.
Et là, les bruits se poursuivent, on comprend que ça mitraille, j’appelle la police, leur explique que ça tire dehors, il me demande si on a vu quelque chose, je leur explique que non, on entend juste des tirs et que nous sommes reclus au fond d’un restaurant. Les tirs paraissent interminables, ça mitraille, ça fait beaucoup de bruit puis il y a des secondes de silence et ça repart, on se regarde avec une de mes amies, on hallucine du nombre de coup de feu.
A mes côtés, une petite fille de 9 ans est en pleurs, elle a peur. Elle dit qu’elle ne veut pas mourir ce soir, qu’elle ne veut pas finir dans un cercueil. Ses mots nous crèvent le cœur, alors on fait face, on ne cède pas à la peur, on essaie de la rassurer pendant que sa maman essaie de joindre son papa pour qu’il vienne les chercher. Mais cela ne la rassure pas, trop lucide à 9 ans, elle a peur que son papa se fasse tuer en venant les chercher. Alors, il faut essayer de trouver les bons mots.
A ce moment-là, on pense à un règlement de comptes, on ne s’imagine pas que des attentats sanglants ont secoué plusieurs endroits de Paris.
Très vite, je préviens mon mari, qui me conseille de rester à terre. Puis, des gens arrivent dans le resto, nous confirment qu’il y a eu une fusillade. Certains venaient de laisser leurs amis à la terrasse de La Belle Equipe car il voulait manger un truc, d’autres ont fui les balles de justesse. On ne comprend pas trop, on est déboussolé, puis les infos sur d’autres fusillades arrivent, sur les réseaux on apprend que des détonations ont eu lieu au Stade de France, une fusillade dans le Xe et la prise d’otage au Bataclan.
On est tous sous le choc, on ne sait pas quoi faire. Mon téléphone sonne, mes proches s’inquiètent, je les rassure malgré la peur au ventre. Je n’ai qu’une envie rentrer chez moi et en même temps je suis tétanisée, j’ai peur de sortir. Avec mes amies, on se demande alors si les tueurs sont encore dans le secteur, on essaie de suivre les infos mais c’est difficile et puis sur les réseaux l’info est-elle fiable ?
C’est un milliard de questions qui se bousculent. Et en même temps, dans notre resto, certains ont échappé à la mort, d’autres après des heures en attente de nouvelles de leurs amis laissés en terrasse apprennent leur mort. Ils s’étaient réunis pour fêter l’anniversaire de l’un des leurs, s’étaient dits : « à toute à l’heure ». C’est l’horreur totale.
Personne ne cède à la panique, c’est très calme, tout le monde attend stupéfait, on se prête des chargeurs de téléphone, on se transmet les infos, la Rue Godefroy Cavaignac est barricadée, les militaires sont présents, la police également.
Une fois l’assaut du Bataclan donné, on commence à se dire qu’on va pouvoir rentrer chez nous. Vers 1h du matin, on se décide à payer l’addition pour partir quand d’un coup on nous dit de nous mettre à terre. Panique, avec une de mes amies on se jette derrière le bar, on entend juste à terre, à terre, le barman réagit alors et nous dit tous à la cave. Sans bousculade, on descend dans la cave. Mon cœur est au bord de l’explosion, une sensation de froideur dans le corps, le souffle coupé, dans la cave c’est le silence. Puis, finalement, c’est une fausse alerte, une voiture ne s’était pas arrêtée au barrage.
Ce fut court mais dans ces moments-là, la notion de temps n’existe plus, quand on nous dit que tout va bien, ma réaction est entre le rire et les larmes, une jeune fille me prend dans ses bras, on se réconforte, ça nous fait du bien, mes jambes sont tremblantes.
L’idée de quitter le restaurant s’éloigne et les militaires nous conseillent d’ailleurs d’attendre un peu, on attendra une heure.
On décide de partir toutes les trois, on propose à d’autres dans le restaurant s’ils veulent partir en même temps. On quitte cette jeune fille, si jeune, qui vient de perdre ses amis. La petite fille est rentrée plus tôt dans la soirée avec son papa et sa maman.
Nous sommes rentrées saines et sauves chez nous avec le cœur meurtri, le bruit des kalashs dans les oreilles, la douleur des autres. J’ai eu cette chance de retrouver ma famille, je devrais sourire, et pourtant je pleure.
Puis, il y a le lendemain, avec toutes les infos, le nombre de victimes, les proches qui perdent des proches, on se rend compte de l’ampleur,…
Je lis qu’il ne faut pas avoir peur, mais j’ai peur, le moindre bruit me fait sursauter.
On me dit de ne pas céder à la paranoïa pourtant je suis sur le qui-vive, les voitures aux vitres teintées m’inquiètent.
Heureusement pour m’aider, j’ai mon mari, ma famille, mes amis et ce précieux joyau qu’est la vie. D’autres non pas eu cette chance, toutes mes pensées vont aux familles, aux amis des victimes mais aussi à tous ceux qui ont vu, entendu ces horreurs.
Merci aux personnes présentes au Waly Faye pour les échanges, au barman, aux serveurs, qui ont su gérer la situation et nous ont gardé en sécurité.
Ce Vendredi 13, j’ai eu de la chance.